Professeure à l’unité départementale des sciences de l’éducation au campus de Lévis, Mélanie Tremblay s’intéresse au développement de la pensée algébrique depuis le début de sa carrière d’enseignante en 2000. Rencontre avec une chercheuse qui a fait de l’enseignement de l’algèbre son fer de lance.

 Dès le début de sa carrière d’enseignante au secondaire, la professeure Tremblay constate certaines lacunes dans l’enseignement des mathématiques, surtout en ce qui concerne le développement de la pensée algébrique. « J’avais l’impression que les nouvelles approches issues des recherches sur l’introduction à l’algèbre n’étaient pas appliquées dans les classes. Cette matière demeure un apprentissage de règles de manipulation. Or, les élèves développent une compréhension procédurale, sans pouvoir expliquer les contextes dans lesquels les règles apprises ont leur pertinence », explique la professeure. Afin de développer de meilleurs ancrages au développement de la pensée algébrique, elle décide de poursuivre ses études supérieures en didactique de l’algèbre.

En 2013, elle et ses pairs ont publié une étude confirmant son hypothèse. Dans le cadre de cette recherche, plus de 900 élèves du 1er cycle du secondaire ont répondu à un questionnaire contenant des problèmes pouvant être résolus arithmétiquement. Les élèves de 2e secondaire, qui avaient tous déjà reçu une introduction à l’algèbre, ont obtenu un score moyen de 44 %. Ceux-ci dépassaient de moins de 10% leurs pairs de 1re secondaire. Ainsi, même si les élèves de 2e secondaire optaient davantage pour un raisonnement algébrique explicite, seulement 56 % d’entre eux réussissaient à l’utiliser correctement.

Développer la pensée algébrique dès le primaire

Son projet ambitieux est de transformer la manière d’introduire les mathématiques au Québec. En ce sens, elle crée l’Observatoire international sur le développement de la pensée algébrique, en collaboration avec d’autres chercheurs. Selon eux, il faut commencer l’enseignement de l’algèbre plus tôt dans le cheminement scolaire des élèves, et ce, dès le premier cycle du primaire. Cette approche, appelée Early Algebra aux États-Unis, est déjà bien implantée chez nos voisins du sud.

Pour réaliser ce défi de taille, elle travaille en étroite collaboration avec des enseignants et les conseillers pédagogiques afin de développer des stratégies et des outils pour faciliter les transitions entre les cycles et pour mieux enseigner l’algèbre au quotidien. « Mon idéal serait d’amener les enseignants à saupoudrer d’algèbre toutes leurs activités d’apprentissage des mathématiques. Par exemple, si on enseigne la recherche de l’aire d’un solide, il est possible d’ajouter des questions sur des notions liées à l’algèbre, comme le sens de l’égalité, le statut des lettres en jeu ou les relations de covariations entre les variables présentes », explique-t-elle. Bien que les différentes approches possibles en enseignement de l’algèbre soient très documentées, peu de chercheurs se sont attardés à la pratique concrète des enseignants sur le terrain.

Ainsi, le projet a pris une ampleur inattendue. « Au départ, nous organisions des rencontres avec des enseignants et des conseillers pédagogiques de deux commissions scolaires de Québec et de Chaudières-Appalaches. Trois mois plus tard, grâce au bouche-à-oreille, plusieurs autres commissions scolaires de ces régions se sont greffées à nos rencontres », précise la chercheuse.

Madame Tremblay explique à quel point l’engagement des enseignants est au-delà de leurs attentes : « Pour chaque journée de rencontre, il faut prévoir de 2 à 3 heures de questions et de discussions avec les participants. Ils expérimentent des activités, s’auto-évaluent et nous rapportent leurs constats, leurs interrogations et leurs impressions. Ces moments d’échanges représentent une mine d’informations incroyable pour l’avancement de nos travaux », ajoute-t-elle. À l’automne 2014, vu l’engouement des enseignants, une journée provinciale sur le développement de la pensée algébrique s’est tenue au campus de Lévis. Plus de 150 conseillers pédagogiques y ont participé.

Des projets plein la tête

En parallèle à cette recherche d’envergure sur le développement de la pensée algébrique, la professeure Tremblay dirige deux autres recherches-action. En 2014-2015, elle et son équipe, en partenariat avec deux collègues de l’UdeM et de l’Université de Sherbrooke, ont animé 15 formations à travers le Québec sur l’implantation de l’approche par compétences en mathématiques en éducation aux adultes. En collaboration avec le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, plus de 350 enseignants et conseillers pédagogiques y ont participé. Ce projet se poursuit dès cet automne. « Il sera intéressant de décrire la transformation de la pratique », explique-t-elle.

Elle travaille également avec des enseignantes du primaire en adaptation scolaire et sociale de l’école St-Mathieu, à Ste-Foy. L’un des objectifs de ce projet est la mise en place d’une approche d’enseignement par problèmes en arithmétique et le développement d’un contrôle chez les élèves. Évidemment, elle vise aussi à introduire l’algèbre en revisitant l’enseignement de l’arithmétique.