Professeure et chercheuse au département des sciences infirmières de l’UQAR campus de Lévis, Caroline Sirois mène de front plusieurs recherches liées à la polypharmacie. La plus importante d’entre elles, financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), vise à élaborer un système de surveillance unique au monde.

Depuis quelques années, le nombre moyen d’ordonnances pharmaceutiques par patient âgé de 65 ans et plus ne cesse d’augmenter. Les résidents des CHSLD, par exemple, consomment en moyenne 10 médicaments par jour. Or, à quel moment la polypharmacie, ou l’utilisation concomitante de plusieurs médicaments, devient-elle excessive et néfaste pour la santé?

Pour trouver réponses à ces questions, Mme Sirois s’affaire à élaborer un système de surveillance de la polypharmacie. Ce projet fait suite à une demande formulée par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) en 2012. L’outil développé servira à mieux encadrer la pratique des professionnels de la santé qui touchent de près ou de loin à la pharmacologie.

Mieux définir la polypharmacie

Dans le cadre de sa recherche intitulée « La polypharmacie chez les aînés, une revue systématique de la littérature», la chercheuse tente de mieux baliser le concept. « Aucune définition consensuelle n’existe dans la littérature. La moitié des auteurs établissent le seuil à 5 médicaments. Il y a 30 ans, avaler 5 comprimés du même coup était énorme. Maintenant, avec l’augmentation des maladies chroniques, le vieillissement de la population et le traitement préventif des maladies, c’est très peu », explique-t-elle.

Les personnes de 65 ans et plus souffrent, en moyenne, d’environ 6 maladies chroniques. Ils représentent le groupe de la population le plus à risque de développer une problématique liée à la polypharmacie. Certains facteurs augmentent d’autant plus leur risque d’y être exposé : vivre en CHSLD, souffrir de certaines pathologies telles que le diabète ou l’insuffisance cardiaque, avoir été hospitalisé, avoir plusieurs prescripteurs, être dépressif ou être un grand utilisateur des services de santé.

Chez cette clientèle, il n’est pas rare de voir apparaître le phénomène de la cascade médicamenteuse. « Cela survient lorsqu’un médicament est prescrit pour contrer l’effet secondaire d’un autre médicament », précise la professeure Sirois. Par ailleurs, une personne qui prend le même médicament depuis de nombreuses années peut, à cause du vieillissement, voir apparaître de nouveaux effets indésirables. Ceux-ci peuvent alors être diagnostiqués à tort comme une nouvelle maladie.

Un phénomène méconnu

Selon la chercheuse de l’UQAR, beaucoup de particularités de la vieillesse, tel que la multimorbidité, demeurent méconnues des professionnels de la santé. Pourquoi? Parce que les lignes directrices de pratique clinique sont historiquement conçues pour traiter une seule maladie. « De plus, la majorité des tests pharmaceutiques sont menés sur des sujets jeunes et en bonne santé », ajoute-t-elle. Les résultats qui en découlent sont ainsi peu applicables sur des personnes vieillissantes et aux prises avec plusieurs maladies.

En outre, la littérature stipule que plus une personne consomme de médicaments, plus elle devient à risque de prendre des médicaments inappropriés. Les cliniciens doivent faire preuve d’un jugement infaillible pour évaluer les bénéfices réels de certaines prescriptions et ne pas alourdir le fardeau médicamenteux du patient.

La polypharmacie, néfaste à tout coup?

D’emblée, la polypharmacie n’est pas toujours nuisible. Mais quand le devient-elle? Pour brosser un portrait juste du phénomène, la professeure Sirois travaille à l’aide des banques de données administratives fournies par la RAMQ. « Nous sommes en plein travail de débroussaillage en ce moment. Les données analysées vont nous permettre de connaître la proportion des personnes de 65 ans et plus exposée à la polypharmacie au Québec, de suivre l’évolution du phénomène dans le temps, de définir les groupes à risque et d’évaluer les liens qui existent entre la consommation d’un médicament, les hospitalisations et la mortalité », explique la chercheuse. « Nous pourrons ainsi déterminer des combinaisons gagnantes ou néfastes entre les médicaments et établir un seuil critique pour définir une consommation trop élevée. »

C’est à la lumière de ces résultats que sera développé le système de surveillance. Pour effectuer ce travail colossal, elle s’est entourée d’une équipe chevronnée de chercheurs de partout autour du monde ainsi que de médecins, de gériâtres et de pharmaciens.

Un parcours impressionnant

L’intérêt de Mme Sirois pour la polypharmacie n’est pas le fruit du hasard. Elle a un parcours impressionnant dans le domaine de la pharmacie avec un baccalauréat en pharmacie, une maîtrise en pharmacie d’hôpital, une maîtrise en pharmacie ainsi qu’un doctorat en pharmacoépidémiologie de l’Université Laval. C’est en 2012, dans le cadre de son postdoctorat en pharmacoépidémiologie à l’Université McGill, qu’elle commence à s’intéresser à la polypharmacie. Elle obtient d’ailleurs, dans le cadre de son doctorat et de son postdoctorat, une bourse du Fonds de recherche du Québec - santé (FRQS) pour mener à terme ses projets. Depuis l’automne 2014, elle est chercheuse associée au Centre d’excellence sur le vieillissement de Québec du Centre de recherche du CHU de Québec.

La professeure de l’UQAR détient également de nombreuses années d’expérience sur le terrain. Après son baccalauréat, elle a intégré le milieu professionnel en devenant pharmacienne communautaire dans le Bas-Saint-Laurent. À la suite de sa maîtrise en pharmacie d’hôpital, elle a travaillé à temps partiel pour l’Institut de cardiologie et de pneumologie de Québec (ICPQ) (Hôpital Laval), tout en complétant son doctorat. Elle joint les rangs de l’UQAR à titre de professeure en 2012, après son postdoctorat.

« De plus en plus de preuves existent quant aux bénéfices de diminuer le nombre de médicaments chez un patient, surtout chez les aînés. Mieux comprendre la polypharmacie nous permettra d’envisager des solutions de déprescription en concertation avec les prescripteurs, les pharmaciens et les patients », conclut la chercheuse.