Une équipe multidisciplinaire de chercheurs de l’UQAR vient d’identifier une nouvelle algue dans l’estuaire du Saint-Laurent. Déjà connue en Asie, la microalgue verte Coccomyxa sp. est signalée pour la toute première fois dans des moules bleues dans les environs de Rimouski. Une découverte étonnante dans cette portion de l’Amérique du Nord.

Les océanographes Michael ZuykovClaude BelzileNicolas LemaireMichel Gosselin et Émilien Pelletier et la biologiste France Dufresne sont derrière la recherche qui a permis d’établir la présence de la microalgue verte Coccomyxa sp. dans l’Est du Québec. « Il s’agit d’une algue marine étrangère qui infeste nos moules bleues. Ce qui est très particulier, et même assez unique dans l’histoire de la biologie, c’est qu’elle est normalement la proie de la moule. Pourtant, elle réussit à vivre dans les tissus de la moule bleue, Mytilus sp., en jouant un rôle de parasite », explique le professeur Pelletier, directeur du projet.

C’est à l’automne 2012 que les premiers échantillons de la microalgue verte ont été prélevés sur la rive sud du Saint-Laurent sur une distance d’environ 75 kilomètres. Ceux-ci ont d’abord été trouvés dans des moules bleues à l’Anse du Petit Mitis, ensuite au Parc national du Bic et dans les districts de Sacré-Cœur (Rocher Blanc) et de Pointe-au-Père à Rimouski.

À l’été 2014, l’équipe de chercheurs de l’UQAR a effectué de nouveaux prélèvements de Cacouna à Gaspé, en incluant la Baie-des-Chaleurs, ainsi qu’une partie de la Côte-Nord, des Escoumins à Forestville. Ils ont observé que la microalgue est présente seulement entre Saint-Simon et Matane sur la rive sud et aux alentours des Escoumins sur la rive nord. Sa propagation semble encore assez limitée.

 

 

Des résultats, mais encore plus de questions

La microalgue verte Coccomyxa est nocive pour la moule bleue. « Le système de défense de la moule résiste à l’envahisseur un certain temps, mais finit par succomber, entraînant un affaiblissement généralisé du bivalve », observe le professeur Émilien Pelletier, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie moléculaire en milieux côtiers. « La microalgueCoccomyxa n’émet pas de substances toxiques connues et ne tue pas directement la moule. Mais cette forme de parasitisme induit toutes sortes d’effets secondaires bien visibles. »

Parmi ces effets secondaires, la coquille de la moule bleue est altérée par la microalgue verte Coccomyxa. « Une moule qui n’est pas infectée a une forme arrondie et allongée et ses deux valves ferment hermétiquement, une condition essentielle pour éviter la déshydratation à marée basse. Quand elle est infectée, elle a une forme de cœur et elle est plus facile à ouvrir avec nos ongles. C’est un signe qu’elle est affaiblie et pratiquement en train de mourir à cause de l’algue qui envahit même son muscle adducteur. Les premières moules bleues infectées ont été remarquées à Métis-sur-Mer, un site considéré comme exempt de contamination humaine depuis des décennies. D’ailleurs, des analyses chimiques détaillées ont montré que ces moules n’étaient pas contaminées par des polluants chimiques », indique le professeur Michel Gosselin.

En outre, les tissus à l’intérieur de la moule bleue deviennent verdâtres lorsqu’elle est fortement infectée par la microalgue Coccomyxa. « En essayant de se défendre, la moule crée des micro perles d’environ 1 à 2 mm partout dans son tissu. On ignore depuis combien de temps les moules recueillies sont malades. Par contre, on sait que le processus se produit  à long terme, car nous avons fait des essais d’implantation sur le terrain avec des moules non infectées, à l’Anse du Petit Mitis, et après une année complète, il n’y avait pas encore d’infestation par des algues vertes. Donc, elles peuvent se défendre pendant un certain temps qu’il reste à déterminer », mentionne le professeur Pelletier. À l’inverse, des moules infestées de Petit-Mitis, gardées à la station aquicole de Pointe-au-Père pendant 8 mois, ne montrent pas de signes évidents de dépuration.

D’où provient la microalgue verte Coccomyxa découverte par l’équipe de chercheurs de l’UQAR dans l’estuaire du Saint-Laurent ? « Les eaux de ballast des bateaux qui circulent sur le Saint-Laurent et qui viennent d’Asie sont la source la plus probable de Coccomyxa. Elle peut être présente dans notre région depuis 10 ou 15 ans, on ne le sait pas. Cette espèce de microalgue a besoin d’un hôte, un bivalve quelconque, pour pouvoir s’installer dans un milieu. Dans le cas présent, ce sont les moules bleues qui ont joué ce rôle », explique le professeur Pelletier.

C’est seulement la seconde fois que la microalgue verte Coccomyxa est trouvée au Canada. En 1974, cette espèce envahissante avait été identifiée à Terre-Neuve dans des pétoncles géants par les chercheurs R.N. Stevenson et G.R. South. Elle a par ailleurs été retrouvée occasionnellement dans les eaux côtières d’Europe, d’Amérique du Sud et d’Asie.

Les moules bleues jouent un rôle important sur les écosystèmes côtiers. « Elles filtrent les algues et les matières organiques. Elles sont des organismes de recyclage et de maintien en santé des écosystèmes. Elles sont très résistantes aux métaux dissous et aux pesticides », note le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie moléculaire en milieux côtiers.

Les chercheurs de l’UQAR souhaitent déterminer quelle stratégie écologique est utilisée par la microalgue Coccomyxapour se propager. « Notre crainte, c’est la propagation de Coccomyxa dans des élevages d’aquaculture. Si elle réussit à envahir les sites d’aquaculture, on peut s’attendre à ce que cela crée des dommages à la qualité des produits. Il y a un risque à long terme », conclut le professeur Pelletier. Soulignons que cette découverte a fait l’objet d’une publication dans le Journal of Invertebrate Pathology.