Cinq étudiantes et étudiants à la maîtrise en gestion des personnes en milieu de travail dirigés par la professeure Andrée-Ann Deschênes présentent des pistes pour préserver une bonne santé mentale en contexte de télétravail. Un enjeu majeur en cette période de pandémie.

Le contexte pandémique dans lequel nous naviguons depuis plusieurs mois a mis en évidence un niveau de détresse psychologique inquiétant. La réalité du travail telle qu’on la connaissait en février 2020 n’est plus. Peu importe le secteur d’activité, tous les travailleurs ont été touchés par ce contexte particulier : c’est dorénavant 4 travailleurs sur 10 qui exercent en contexte de télétravail. Devant l’ampleur historique atteint par le télétravail, les écrits sur le sujet se sont faits nombreux et mettent en évidence ses multiples avantages : meilleure conciliation travail-famille, qualité du travail accrue, plus grande flexibilité, gains de productivité, etc. Force est de constater que dans les derniers mois, la face sombre du télétravail a été sous représentée médiatiquement. Pourtant, l’écran d’ordinateur auquel sont accrochés les yeux des télétravailleurs est dans bien des cas le seul lien tangible qui les unit à leur organisation. Le « zoom-meeting » est presque l’unique évènement de partage d’informations en temps réel qu’a le travailleur avec ses collègues. Le lien social avec l’organisation, tant éprouvé en regard de la santé psychologique au travail , se traduit aujourd’hui par les barres du Wifi et de la connexion réseau. Cet article s’inscrit dans une volonté de rééquilibrer l’écart actuellement perçu.

Que peut faire l’employeur?

Malgré cette transformation rapide et massive, quelques entreprises ont fait belles figures relativement à la mise en place de stratégies visant à soutenir les employés.

  • L’une d’elles a élaboré une approche globale conciliant les aspects techniques et sociaux du travail à distance par la création d’un centre d’expertise du télétravail visant à soutenir les employés face aux nouvelles modalités ainsi que par la mise en place d’une plateforme où les travailleurs peuvent exprimer leurs inquiétudes d’ordre psychologique ou professionnel.
  • D’autres ont mis l’accent sur les temps collectifs, qui ont pris de multiples formes suivant les intérêts des employés : les “beer & fridge” virtuels ; le 5 à 7 en ligne avec la présence d’invités spéciaux (ex : mixologue) ; la diffusion d’un spectacle virtuel . Ces moments festifs permettent de s’évader l’espace d’un instant de la routine quotidienne, provoquant des moments d’échanges plus informels souvent riches pour stimuler la créativité des travailleurs et prendre le pouls du terrain .
  • Certaines entreprises misent sur la gestion à court terme en contexte de télétravail : en fixant de petits objectifs réalistes, le gestionnaire peut avoir des suivis plus rapprochés où il peut valider le niveau de confort de ses employés. Ces moments d’échanges, en plus de contrer l’isolement potentiel soutiennent l’importance de promouvoir le lien social .
  • La tenue de rencontres individuelles et d’équipes sur une base régulière permettent d’entretenir le sens du travail de l’employé en le tenant au courant de l’avancement des travaux et des bons coups organisationnels. Il a d’ailleurs été démontré qu’un travail porteur de sens agit comme facteur de protection de la santé psychologique au travail. De plus, ces rencontres régulières permettent souvent de déceler des signes de détresse psychologique au travail d’un membre et ainsi d’agir proactivement.

Que peut faire le travailleur?

Les principales ressources personnelles à déployer pour favoriser une adaptation optimale à la réalité du travail à distance se regroupent en trois grandes catégories : la logistique, le sentiment d’efficacité personnel et la sociabilisation.

  • D’un point de vue logistique, le télétravailleur doit bien choisir son environnement de travail : établir une certaine frontière pour éviter les confusions entre les sphères personnelle et professionnelle ; porter attention à l’ergonomie du poste de travail afin d’éviter les risques de blessures liées aux nombreuses heures consécutives devant un écran.  De plus, la routine matinale joue un rôle important afin de prédisposer favorablement le salarié en vue de sa journée de travail, en facilitant la mise en place de frontières psychologiques travail-vie personnelle. .
  • Le sentiment d’efficacité personnelle de nombreux télétravailleurs a été mis à rude épreuve au cours des derniers mois. Déséquilibre dans la conciliation travail-famille, apprentissage de nouvelles technologies, productivité parfois en deçà ou au-delà des espérances : les travailleurs ont dû déployer des ressources personnelles supplémentaires ayant pu les amener à douter de leurs propres compétences. Faire face à cette nouvelle réalité nécessite de la patience et l’indulgence : rien ne sert de s’autocritiquer durement et demander l’aide de vos collègues ou de votre supérieur ne change en rien vos compétences.
  • Une fois les bases logistiques et personnelles mises en place, il faut veiller au maintien des liens sociaux, si bénéfiques à l’égard de la santé psychologique au travail. D’abord, il importe de préserver le soutien, la communication et la confiance, piliers pour la réussite du travail à distance . Une des façons d’y parvenir est la mise en place de canaux de communication efficaces avec le supérieur : tenir votre gestionnaire informé de l’évolution de vos travaux et de l’atteinte de vos objectifs le mettra en confiance et vous permettra en retour de vous sentir davantage supporté en cas de besoin. Par ailleurs, la présence des collègues, ayant un rôle central dans le travail, est devenue presque effacé de la sphère professionnelle avec l’arrivée du télétravail. Si vous vous sentez seul et isolé, il y a fort à parier que vos collègues ressentent la même chose.

Et si cette pratique inspirait le futur ?

En somme, il semble indéniable de penser que le télétravail est là pour demeurer. Une récente enquête démontrait que 6 travailleurs canadiens sur 10 souhaiteraient travailler à distance au moins 3 jours par semaine. L’enjeu est toutefois de reconnaître que si des solutions optimales ne sont pas mises en place, le télétravail peut présenter un risque pour la santé psychologique au travail notamment en raison du manque de repères et de l’isolement. Ces formules hybrides peuvent présenter une avenue fort intéressante pour les organisations.

L’humain est un être profondément social. La santé psychologique au travail n’est pas une responsabilité qui incombe uniquement à l’employeur ou au gestionnaire : nous en sommes tous responsables. L’idée est de montrer que chacun, à son niveau, peut avoir un impact bénéfique dans la préservation de la santé psychologique au travail et qu’il n’est pas nécessaire de déployer des ressources astronomiques pour y parvenir. Souvent, un coup de fil peut faire la différence d’un simple courriel. Il faut demander, écouter et apprendre de ce contexte qui aura à coup sûr changé une génération complète de travailleurs. Au stade actuel, chaque petit geste compte.

Isabel Bastille

Élaine-Andrée Guilbault

Maude Ouellet

Pierre-Alexandre Baril

Clémence Emeriau Farges

Étudiant(e)s à la maîtrise en gestion des personnelles en milieu de travail sous la supervision de la professeure Andrée-Ann Deschênes, campus de Rimouski

 

Liens à consulter :

  • Pistes d'action pour favoriser la santé psychologique au travail en période de pandémie: Cette conférence porte sur les défis auxquels les travailleurs et les organisations doivent faire face en contexte de pandémie, ainsi que sur les pistes d’actions qu’ils peuvent mettre en place pour prévenir les problèmes de santé psychologique dans ce contexte particulier. La conférence fait référence également au contenu d’une des fiches du dossier « COVID-19 et SST» de l’IRSST: Planification de la reprise des activités : comment favoriser la santé psychologique après la période de confinement. Par Alessia Negrini, chercheuse à l’IRSST.

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