Gatinois d’origine, le géographe spécialisé en télédétection par radar à ouverture de synthèse et en analyse d’imagerie satellitaire, Simon Tolszczuk-Leclerc, est aujourd’hui chef des opérations pour le Service de géomatique d’urgence de Ressources naturelles Canada au Centre canadien de cartographie et d’observation de la Terre à Ottawa.

Les domaines d’expertise principaux de ce diplômé de géographie physique de l’UQAR sont la géomorphologie, la géomatique et la recherche scientifique. Il possède des connaissances dans plusieurs sous-domaines des sciences géographiques : gestion des risques naturels, aménagement du territoire ainsi qu’en gestion de projet. Son rôle consiste à superviser les opérations de production et de recherche et développement cartographique, plus spécifiquement, les produits de cartographie des inondations et de suivi de l’état des glaces de rivières. Ce poste a un rôle crucial permettant de mesurer l’impact des phénomènes naturels et ainsi assurer une prévisibilité afin que les intervenants de première ligne dans les provinces et territoires au Canada apportent une réponse adéquate dans ces situations d’urgence. Les produits cartographiques permettent également d’analyser en temps réel l’évolution de ces phénomènes à partir d’images provenant de l’espace grâce à l’utilisation du satellite canadien RADARSAT en mode urgence. Rencontre avec un diplômé fier de pouvoir travailler précisément dans son domaine d’expertise de la télédétection pour le compte du gouvernement du Canada.

Pourquoi avoir choisi l’UQAR pour vos études?

 À la fin de mes études collégiales au Cégep de l’Outaouais, je ne savais pas trop ce que je voulais faire, mais je savais que le monde marin m’avait toujours intéressé. Je me suis donc dirigé vers l’Institut Maritime du Québec (IMQ) à Rimouski pour faire des études en navigation, incluant un stage. Après une année, j’ai compris que ce domaine n’était pas pour moi, mais l’aspect de la cartographie marine m’a drôlement intéressé. C’est en rencontrant des étudiantes et étudiants de géographie physique de l’UQAR, particulièrement convaincants lors d’une activité d’escalade au Cégep de Rimouski, que j’ai choisi de m’inscrire à l’UQAR. Les bourses offertes par la Fondation de l’UQAR ont également été déterminantes dans ma décision finale d’aller de l’avant vers l’UQAR où le programme consacrait beaucoup de temps aux expériences sur le terrain. J’avais aussi été accepté dans une autre université, mais ces facteurs ont scellé mon choix.

C’est parmi les plus belles années de ma vie, celles que j’aie passées à Rimouski; pratiquement la moitié de ma vie! Après le baccalauréat, j’ai poursuivi à la maîtrise et mon sujet de recherche était la cartographie par RADAR à ouverture de synthèse et l’analyse de la variabilité spatiale du pied de glace sur la côte de la péninsule de Manicouagan au Québec. J’ai alors travaillé sur la cartographie de la glace côtière en lien avec la problématique de l’érosion des berges. J’ai eu la chance rare à l’époque de pouvoir œuvrer avec la télédétection radar par l’entremise de RADARSAT. Mon directeur de mémoire, monsieur Simon Bélanger, avait un projet de recherche qui bénéficiait de beaucoup de données provenant du satellite. Cela m’intéressait vraiment et m’ouvrait la porte à plusieurs opportunités d’emplois au gouvernement fédéral qui utilisait déjà abondamment cette technologie. 

Au baccalauréat, l’environnement était exceptionnel lors des sorties sur le terrain. Les professeurs de géographie, d’excellents pédagogues, étaient tellement généreux et dévoués pour nous. La taille de l’université et des groupes classes faisaient en sorte que nous nous sentions considérés et pratiquement comme à la maison! Il y avait également monsieur Antoine Morissette qui nous inculquait avec justesse l’importance d’avoir une très grande rigueur dans nos travaux, rigueur qui est essentielle dans le monde du travail. C’est d’ailleurs lui qui m’a donné ma première expérience de travail en télédétection pour le compte de la Technopole maritime du Québec et de l’Observatoire global du Saint-Laurent. Étant fort occupé, celui‑ci m’avait fait confiance pour exécuter un mandat tout en me supervisant lors de sa réalisation. Aspect non négligeable, cela m’avait également permis de me faire connaître un peu à l’Agence spatiale canadienne et dans le domaine de la télédétection avant d’entreprendre ma maîtrise par la suite.

Quel est votre mandat spécifique? En quoi est-ce important selon vous?

Mon rôle spécifique consiste à effectuer la planification des opérations de cartographie en cas d’urgence, coordonner et effectuer le support aux opérations de géomatique d’urgence, effectuer la planification et la coordination des travaux de développement logiciel et à effectuer la gestion de projets de recherche pour l’amélioration de nos algorithmes de cartographie. À la demande de la Sécurité publique du Canada, et suite à une requête de la sécurité civile d’une province ou d’un territoire, le Service de cartographie d’urgence du Centre canadien de cartographie et d’observation de la Terre (CCCOT) de Ressources naturelles Canada doit intervenir rapidement pour déterminer les secteurs touchés par les inondations en les cartographiant. L’obtention de renseignements à jour sur la débâcle à une date donnée et sur son évolution facilite la prise de décision pour gérer les risques entourant les glaces et les crues fluviales. Que ce soit pour l’étendue des inondations ou la débâcle printanière, les méthodes traditionnelles de surveillance comprennent l’observation visuelle à partir d’aéronefs et à partir des rives. Quoique coûteuses, ces méthodes offrent beaucoup de souplesse pour ce qui est du moment et de la fréquence des observations, donnent une couverture spatiale limitée et, dans le cas des relevés aériens, sont à la merci des intempéries. La télédétection spatiale peut constituer un excellent moyen de recueillir des informations actuelles sur l’état des glaces fluviales ou de l’étendue des inondations, en raison de la capacité des systèmes de produire des images de manière régulière, systématique, synoptique et répétitive. Les satellites radars à synthèse d’ouverture (RSO), comme le satellite canadien RADARSAT-2 ou la MCR, conviennent particulièrement bien, parce qu’ils produisent des images de jour comme de nuit et quelles que soient les conditions météorologiques. Cela dit, les satellites RSO se déplacent sur des orbites déterminées, ce qui limite le moment et la fréquence de l’acquisition des images. Il convient donc d’envisager les méthodes d’observation traditionnelles et les satellites RSO comme des sources d’information complémentaires plutôt que concurrentes. De plus, l’analyse de nos données permet non seulement de constater l’évolution d’un événement à court terme afin de mieux informer les décisions en gestion de crise, mais aussi de produire des données d’archives qui sont utiles à plusieurs chercheurs pour leurs travaux de recherche sur la prévision des inondations.
La glace fluviale, quant à elle, régit le régime hivernal de la plupart des cours d’eau canadiens et influe sur l’environnement naturel et humain de diverses façons. L’effet de l’englacement des rivières sur les Canadiens culmine habituellement quand la couverture de glace se rompt et occasionne des embâcles provoquant des inondations qui entraînent des dommages structuraux aux habitations, aux commerces et aux éléments d’infrastructure. C’est donc important de surveiller ce phénomène.

Avez-vous des exemples de situations où vous avez eu un rôle important à jouer?

Cette année par exemple, à la demande du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest qui en a fait la requête à la Sécurité publique du Canada, nous faisons un suivi des embâcles sur la Rivière Mackenzie et ses tributaires, car les conditions hydrométéorologiques de ce printemps étaient particulièrement préoccupantes. Les mouvements des glaces provenant des rivières se déversant dans le Mackenzie toujours glacé menaçaient d’y causer des bouchons fort importants. Nos produits de cartographie des embâcles permettent d’évaluer l’état des glaces sur le territoire. Ça peut faire la différence entre faire évacuer des communautés à risque en après‑ midi versus en pleine nuit à 2 heures du matin alors que le mal est fait! Quand la débâcle est imminente, nous passons d’un monitoring normal à un monitoring d’urgence en temps quasi réel 7 jours sur 7. Cette année, avec le satellite, nous avons vu l’embâcle se construire, ça a permis aux experts de la sécurité civile des Territoires d’avoir toute l’information disponible rapidement afin de les informer au mieux dans leurs décisions sur les interventions d’urgence à effectuer. Nos produits leur permettent aussi de valider par la suite que le risque est écarté afin de réintégrer en sécurité les zones touchées par les inondations.

Les outils que nous fournissons sont complémentaires aux autres informations disponibles comme les jauges de niveau d’eau, des renseignements sur les débits, des renseignements météorologiques et parfois des observations sur le terrain. Nos clients sont généralement très contents des informations que nous leur fournissons, car l’accès à certaines zones lointaines est parfois difficile comme c’est le cas depuis plusieurs mois à cause des règles sanitaires.

On a aussi réalisé des mandats similaires au Nouveau‑Brunswick, en Ontario et au Manitoba et nous avons transféré notre technologie à des partenaires afin qu’à terme, ils puissent développer une expertise locale dans la cartographie de glaces de rivières et de leurs impacts sur le terrain auprès des communautés touchées.

Voyez-vous déjà les impacts des changements climatiques sur les cours d’eau au Canada?

Le service existe depuis 2004 et les activations arrivaient de temps à autre à l’époque. Aujourd’hui, la fréquence des activations n’est plus la même et nous sommes interpelés plusieurs fois par année pour différents événements au Canada (embâcles, inondations, feux de forêt, etc.). Ce nouveau phénomène est peut‑être lié aux changements climatiques, ce qui est certain, c’est que nos interventions sont de plus en plus en demande ces dernières années.

Notre service de géomatique d’urgence s’intéresse à l’ensemble des désastres. Bien que notre spécialisation soit orientée vers les embâcles et les inondations, récemment nous avons aussi reçu des requêtes pour des risques de glissements de terrain en Colombie‑Britannique. Dans ce cas, nous utilisons des méthodes de détection de mouvement du sol par interférométrie radar (InSAR). On utilise aussi de l’imagerie à haute résolution afin de pouvoir fournir l’information la plus juste possible dans toute sorte de situations, comme pour les tornades de septembre 2019 à Gatineau et Ottawa. Nous avons été appelés à faire des cartes afin de délimiter les zones touchées et ainsi constater le parcours des tornades et l’étendue des dommages. En 24h, nous avons réussi à fournir les informations à Sécurité publique Canada grâce à la cartographie du secteur à partir d’images aériennes. Notre rôle en appui aux autorités est gratifiant pour nous tous, j’ai une super équipe qui m’épate tous les jours.