Professeur d’histoire au Département des lettres et humanités, Julien Goyette a fait paraître cette année, aux Presses de l’Université Laval, un livre consacré à l’œuvre du sociologue québécois Fernand Dumont (1927-1997). Tiré de la thèse de doctorat de l’auteur, cet ouvrage constitue la première interprétation globale de la pensée de celui que d’aucuns considèrent comme l’un des plus grands intellectuels québécois.

Par sa taille et son caractère multiforme, l’œuvre de Dumont déstabilise le lecteur spécialiste d’aujourd’hui. Ce n’est pas moins de 15 livres et de 300 articles, publiés entre 1947 et 1997, qui ont été analysés par l’historien de l’UQAR pour réaliser son étude. Et c’est sans compter l’œuvre poétique, contenue en trois recueils publiés en contrepoint des travaux savants, qu’il a renoncé à analyser. Animée d’un intense souci esthétique, qui enchante les uns et déconcerte les autres, l’œuvre de Dumont ne s’embarrasse pas des frontières entre les disciplines, empruntant tantôt à la sociologie, à la philosophie et à l’histoire, tantôt à la psychologie, à la pédagogie et à la théologie.

Comme en témoignent ses Mémoires, Récit d’une émigration (Presses de l’Université Laval, 1997), Dumont a toujours cherché à inscrire ses idées, même les plus abstraites, dans la coulée de son enfance passée dans le village industriel de Montmorency. Goyette invite à les considérer également dans leur dimension universelle. « Placer les réflexions de Dumont sous le signe de la philosophie de l’histoire permet, en somme, écrit-il dans son livre, de refaire l’unité de son œuvre. Une œuvre qui possède la rare particularité de jeter des ponts entre les contextes québécois et occidentaux, ainsi qu’entre les pratiques politiques et épistémologiques. »

La philosophie de l’histoire consiste à interroger la totalité de l’histoire à partir d’une idée philosophique. « On connaît tous, précise M. Goyette, la philosophie de l’histoire de Marx, basée sur les notions d’aliénation et de lutte des classes. Celle de Dumont, elle, s’organise plutôt autour du dédoublement. Dans son maître ouvrage, Le lieu de l’homme (1968), Dumont expose sa réputée théorie de la culture, dominée par l’opposition entre la culture première et la culture seconde. L’originalité de mon ouvrage, c’est de dégager les multiples implications historiques de cette théorie, notamment du point de vue du récit de l’Occident, de la fonction sociale de la discipline historique et même de la politique, pour ainsi cerner la contribution de cet extraordinaire penseur de la culture à une explication globale du sort des sociétés actuelles. »

La pensée de Dumont interpelle les contemporains par son inactualité, par sa capacité à prendre la modernité à rebrousse-poil. « Il est un moderne malgré lui, un moderne qui nage à contrecourant. Et c’est justement cette volonté de penser la modernité dans sa marge, de la remettre pour ainsi dire dans son contexte culturel, qui le rapproche de nous et qui confère à son œuvre toute sa “puissance d’appel” », explique le professeur Goyette.

Présentateur du tome II des Œuvres complètes de Fernand Dumont (Presses de l’Université Laval, 2007), Julien Goyette a accordé récemment une entrevue dans le cadre de l’émission Aujourd’hui l’histoire sur Ici Radio-Canada Première. On peut écouter l’entrevue ici.

Julien Goyette, Temps et culture. Fernand Dumont et la philosophie de l’histoire, Québec, Presses de l’Université Laval, 2017.