L’équipe du Laboratoire de géomorphologie et de gestion des risques en montagne (LGGRM) de l’UQAR scrute, depuis bientôt deux ans, l’évolution des parois rocheuses qui bordent les routes 132 et 198 en Gaspésie. Un projet de recherche mené pour le ministère des Transports du Québec qui vise notamment à développer un modèle de prévisions pour éviter les incidents découlant de chutes de pierres sur la chaussée.

La Gaspésie représente un laboratoire de recherche unique pour l’équipe du professeur Francis Gauthier. « Des chutes de pierres, il y en a pratiquement tous les jours au printemps, en été et à l’automne », observe-t-il. « La géologie de la Gaspésie est propice pour réaliser des études comme celle-là, car la roche est très friable. Donc, l’échelle de temps géologique pour l’étudier est beaucoup plus courte que celle, par exemple, d’une falaise du Bouclier canadien où il faut parfois attendre plusieurs années avant qu’il y ait des blocs qui tombent. »

Depuis l’année 2000, pas moins de 6000 interventions pour déblayer des pierres tombées sur les routes 132 et 198 ont été répertoriées entre les municipalités de Sainte-Anne-des-Monts et de Grande-Vallée. « Souvent, les gens pensent que les pierres tombent en raison du gel et du dégel. Une perception qui s’explique peut-être par le nombre plus élevé de chutes de pierres observées au printemps dans ce secteur de la Gaspésie. Dans la réalité, c’est beaucoup plus complexe que cela. Il y a plusieurs facteurs qui peuvent influencer le développement des instabilités rocheuses. Des facteurs météorologiques comme la température de l’air, la vitesse du vent et l’exposition au rayonnement solaire influenceront la température des parois rocheuses. Le type de roche, la structure et les caractéristiques des fractures incluant l’advection d’eau sont également des paramètres très importants à considérer », explique le professeur Gauthier.

Les chercheurs du LGGRM ont installé une multitude d’instruments directement sur les parois rocheuses : des sondes pour mesurer le rayonnement solaire, la vitesse et la direction du vent, la teneur en eau de la roche, les déformations mécaniques des fractures et même des sondes de température dans des trous de forage horizontaux de plus de cinq mètres de profondeur. « On s’intéresse aux différentes variables qui vont influencer la fragmentation de la roche en surface et jusqu’à des profondeurs correspondant à l’onde maximale du gel hivernal. Ce que les gens oublient souvent, c’est que sans la présence d’eau dans la roche ou dans les fractures de la roche, le gel et le dégel ne seront pas des facteurs qui contribueront au développement d’une instabilité rocheuse, et encore moins les événements déclencheurs d’une chute de pierres », note Francis Gauthier.

En revanche, ce qui est observé, c’est que la taille des chutes de pierres est proportionnelle au front de dégel des parois rocheuses au printemps. Par exemple, une roche peut potentiellement tomber si le dégel printanier en surface atteint 30 centimètres de profondeur et que la fissure séparant le bloc de la paroi est inférieure à 30 centimètres. « En hiver, dans les falaises du nord de la Gaspésie, le gel progresse graduellement à l’intérieur des parois jusqu’à environ 4 mètres de profondeur, et c’est au printemps lorsque la hausse des températures entraine la fonte de la glace dans les fissures les plus profondes que les plus grosses chutes de pierres peuvent survenir. Nous observons également une fréquence plus élevée des chutes de pierres lorsque le dégel en surface rejoint l’onde de dégel en profondeur. Nous avions très peu d’information sur ce phénomène de dégel concomitant et ses effets sur la dynamique des chutes de pierres avant le début de nos recherches sur les parois rocheuses de la Gaspésie », précise le professeur Gauthier.

Quatre aléas sous la loupe des chercheurs

Dans le cadre du projet de recherche pour le ministère des Transports, l’équipe du Laboratoire de géomorphologie et de gestion des risques en montagne étudie les chutes de pierres et de blocs de glace, les avalanches de neige et les crues torrentielles. « L’objectif du projet, c’est de développer des modèles de prévisions statistiques qui s’appuient sur des relations entre l’occurrence des aléas et les conditions météorologiques. Après l’érosion côtière, il s’agit des quatre principaux aléas auxquels le ministère des Transports fait face dans le secteur visé en Gaspésie », indique le professeur Gauthier. L’occurrence de ces aléas a d’ailleurs été compilée, depuis 1987, par le Ministère dans une base de données.

Avant 2016, une seule station météorologique était en activité dans le nord de la Gaspésie. Pourtant, les conditions météorologiques entre la côte, les vallées et les plateaux sont extrêmement variables et la station d’Environnement Canada située à Cap-Madeleine n’est pas toujours représentative des conditions ailleurs sur le territoire. Depuis 2016, le LGGRM a établi un réseau de stations météorologiques spécifiquement dédié à l’étude de ces aléas entre les municipalités de Sainte-Anne-des-Monts et de Grande-Vallée. Au total, quinze stations ont été ajoutées par l’équipe du professeur Gauthier pour suivre les conditions météorologiques propices au déclenchement des chutes de pierres et de blocs de glace, des avalanches de neige et des crues torrentielles.

Les variables météorologiques acquises avec ces stations sont utilisées pour soutenir le développement des modèles prédictifs, poursuit le professeur Francis Gauthier. « Par exemple, avec les modèles prédictifs qu’on a développés, on est en mesure de savoir, à trois ou quatre jours près, quand un bloc de glace va tomber. On arrive à prédire avec succès plus de 90 % des avalanches de neige sur les années de validation. » Depuis le début des années 2000, plus de 500 avalanches et plus de 450 chutes de glace sont survenues entre les municipalités de Sainte-Anne-des-Monts et de Grande-Vallée. De tels modèles de prévisions seront également développés pour les chutes de pierres et les crues torrentielles.

Un autre mandat du projet de recherche avec Transports Québec est d’évaluer les effets du changement climatique sur la dynamique de ces aléas. Les données de la station météorologique de Cap-Madeleine couvrant la fin du XIXe siècle à aujourd’hui seront utilisées pour étudier l’évolution des tendances des variables météorologiques statistiquement significatives pour expliquer l’occurrence de ces différents types de mouvements de masse en montagne. « Par exemple, avec l’augmentation du nombre de redoux hivernaux, on peut s’attendre, dans un futur rapproché, à avoir davantage de chutes de pierres en hiver ou, du moins, à en avoir, car aucune n’a été observée par le MTQ depuis 1987. Le nombre d’avalanches déclenchées par un événement de pluie sur neige risque aussi de s’accroître. Nos travaux permettront de modéliser les tendances sur 100 ans avec les données de simulation climatique. Ces modèles vont pouvoir être utilisés à des fins de gestion préventive par le ministère des Transports », conclut le professeur Gauthier.

Le contrat de recherche avec le ministère des Transports du Québec représente un financement de 700 000 $ sur quatre ans (2017-2021). Une équipe de six chercheuses et chercheurs travaillent avec le professeur Gauthier dans le cadre de ce projet de recherche.