Depuis la mi-août une équipe de chercheurs de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski, de l’Institut Maurice-Lamontagne et du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent est à l’écoute du fjord du Saguenay et de ses bélugas avec des réseaux d’hydrophones dériveurs.
Long d’environ 105 km, le fjord du Saguenay est un des habitats privilégiés par les bélugas du Saint-Laurent. On y voit fréquemment des bélugas depuis son embouchure, à Tadoussac, jusqu’à la Baie Sainte-Marguerite, quelque 30 km plus en amont. Le fjord du Saguenay est bien connu pour son environnement marin particulier, avec des eaux saumâtres près de la surface et une épaisse nappe d’eau froide et salée en-dessous, dont la profondeur atteint plus de 250 m par endroits.
Le fjord du Saguenay est par contre beaucoup moins bien connu pour ses caractéristiques sonores sous-marines. « Or, on sait que le béluga est un mammifère marin qui fait un très grand usage des sons pour échanger diverses informations avec les autres membres de son troupeau, naviguer sous l’eau, et chasser ses proies avec son système perfectionné d’écholocation par ultrasons. Pour réaliser ces fonctions vitales, il a besoin d’un environnement sonore de qualité », explique le Dr Yvan Simard, directeur de la Chaire de recherche de Pêches et Océans Canada en acoustique sous-marine appliquée aux mammifères marins et leur écosystème à l’UQAR-ISMER.
Quelles sont les qualités sonores de l’habitat du béluga le long du fjord? Voilà la question que se pose cette équipe de chercheurs de l’UQAR-ISMER, de l’IML et du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Pour y répondre, l’équipe a réalisé deux campagnes de mesures de l’environnement sonore sous-marin le long du fjord en août et octobre derniers. Elle a alors utilisé des systèmes acoustiques spécialisés permettant d’enregistrer une large gamme de sons, incluant les divers sifflements des bélugas et leurs clics ultrasoniques d’écholocation.
« Ces systèmes autonomes étaient suspendus à des bouées déposées dans le fjord. Ils dérivaient alors avec le courant tout en récoltant des enregistrements acoustiques à plusieurs profondeurs dans les deux masses d’eau caractéristiques du fjord. Leurs positions, fournies par le système de localisation GPS, étaient transmises en temps réel au navire de recherche par le réseau satellitaire SPOT. Ainsi, à l’aide d’une application sur un téléphone intelligent reliée à Internet, l’équipe pouvait suivre à distance la trajectoire des réseaux d’hydrophones pendant leurs mesures en dérive avec les masses d’eau », précise le Dr Simard.
Les caractéristiques géomorphologiques et sédimentaires de cette étroite vallée glaciaire aux parois escarpées font du fjord un milieu particulier pour la propagation des sons sous-marins. Dans l’eau, le son se propage à environ 1,5 km par seconde, soit 5400 km/h. « Un son émis au centre du fjord est aussitôt réfléchi dans plusieurs directions par les parois rocheuses. On entend alors ses échos pendant plusieurs secondes. C’est ce qu’on appelle la réverbération tel qu’on l’entend dans des endroits très réfléchissants, comme pour la musique ou le chant dans une cathédrale », indique le directeur de la Chaire de recherche de Pêches et Océans Canada en acoustique sous-marine appliquée aux mammifères marins et leur écosystème.
Le tracé du fjord n’est pas une ligne droite, mais plutôt une ligne brisée avec plusieurs courbes. Dans les détours entre les segments droits, la transmission du son est grandement affectée par le degré de courbure. Seuls certains sons pourront transiter vers le segment voisin. Des seuils de dépôts glaciaires séparent aussi le fjord en trois bassins qui diffèrent par leurs étendues, leurs profondeurs et les sédiments accumulés dans le fond. Toutes ces caractéristiques génèrent des conditions sonores changeantes le long du fjord.
Pour dresser le portrait général des niveaux sonores et les conditions de propagation des sons dans les masses d’eau, l’équipe analysera dans les prochains mois l’abondante récolte d’enregistrements acoustiques et de relevés océanographiques réalisés au cours des campagnes de mesures. « Les enregistrements récoltés aux différents sites le long du fjord comprennent des mesures de l’environnement sonore naturel, sans sources de bruits générés par l’homme, ainsi que des mesures en présence de bélugas, de petits bateaux ou de navires marchands. Ce projet permettra à l’équipe de lever une partie du voile qui abrite les paysages acoustiques sous-marins du fjord », conclut le Dr Simard.
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