Les arbres sont de formidables témoins de l’histoire de leur environnement. Grâce à leurs cernes, on peut reconstituer l’impact des changements climatiques et des perturbations naturelles et anthropiques sur des centaines d’années. Un exercice complexe que réalise l’équipe du Laboratoire d’écologie historique et de dendrochronologie de l’UQAR dans ses travaux de recherche.
C’est depuis 1996 que ce laboratoire, dirigé par le professeur de biologie Dominique Arseneault, mène des recherches sur la forêt tempérée nordique et la forêt boréale, dans le nord du Québec. Avec son équipe d’une dizaine de chercheuses et de chercheurs, il étudie les cernes des arbres, soit les anneaux de croissance formant un cercle dans le tronc, afin d’en tirer de précieuses informations sur le climat et sur les feux de forêt.
« Les cernes des arbres sont comme des codes-barres. Les arbres font un cerne chaque année et chaque cerne contient beaucoup d’informations sur le climat. La largeur des anneaux de croissance et la densité du bois sont influencées par la température et les précipitations de l’été. Quand le cerne est plus grand, c’est qu’il a fait plus chaud. En procédant par chevauchement avec d’autres arbres, on peut reconstituer le climat des 2000 dernières années avec les cernes des arbres, un peu comme une ligne du temps », explique le professeur Arseneault.
Le choix des arbres est crucial pour réaliser de telles recherches. Comme les arbres tombés sur le sol se décomposent en une période d’environ 25 ans, l’équipe du Laboratoire d’écologie historique et de dendrochronologie récupère des arbres dans des lacs pour leurs travaux. « Il y a moins d’oxygène dans l’eau, alors l’arbre se décompose moins rapidement. Et lorsqu’il est enfoui dans la vase au fond d’un lac, il ne se décompose plus, car il a été protégé », précise le professeur Arseneault.
L’étude des cernes des arbres permet, en outre, de reconstituer l’histoire des feux dans une forêt. « L’âge de la forêt est un facteur déterminant qui influence la propagation des incendies dans la forêt boréale. Dans le nord du Québec, quand la forêt a moins de 20 ans, le risque d’incendie est de 1 % par année. Si la forêt a plus de 50 ans, le risque de feu est de 5 % par année, ce qui signifie que si on y retrouve une infrastructure, elle a toutes les chances de brûler dans les 20 prochaines années. Il n’y aura jamais de risque zéro, mais avec des modèles de simulation, on peut évaluer le risque pour les infrastructures qu’on veut aménager », indique le professeur Arseneault.
L’équipe du professeur Arseneault mène de front deux projets de recherche, dans le nord du Québec, appuyés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), Hydro-Québec et le consortium Ouranos. Dirigé par le professeur Arseneault, le premier projet vise à déterminer les risques d’incendie dans la taïga canadienne. L’équipe de l’UQAR a réalisé une carte de probabilité des incendies dans le nord du Québec en se basant sur l’âge des forêts et la présence des lacs sur le territoire.
« Annuellement, 2 à 3 % du territoire de la taïga brûle en raisons de causes naturelles. Un pourcentage de 2 % signifie qu’une infrastructure a toutes les chances d’être exposée à un feu dans les 50 prochaines années. Si c’est 3 %, l’infrastructure sera exposée dans les 30 prochaines années. Alors, il y a beaucoup d’infrastructures à risque dans le nord », indique le biologiste de l’UQAR. Avec la carte de probabilité de feux développée par l’équipe de l’UQAR, et en incluant les scénarios climatiques d’Ouranos, Hydro-Québec aura les données pertinentes pour choisir des mesures d’adaptation pour réduire les risques de feux autour des villages, des routes ou des antennes de télécommunication, le tout dans un contexte de changement climatique. La fin du projet de recherche est prévue dans deux ans.
L’expertise de l’équipe du Laboratoire d’écologie historique et de dendrochronologie de l’UQAR est également mise à profit dans le cadre d’un projet de recherche dirigé par le professeur Étienne Boucher, de l’UQAM. Amorcé il y a quatre ans, ce projet consiste à établir un modèle de prévisibilité du risque de sècheresse dans les bassins versants utilisés pour la production hydroélectrique dans la péninsule du Québec-Labrador. Le professeur Arseneault et son équipe ont reconstitué le climat des deux derniers millénaires à partir d’arbres récupérés dans des lacs dans le secteur des bassins versants de la Baie-James et de la Côte-Nord.
« Nos travaux aident à comprendre comment le climat affecte la quantité d’eau dans les réservoirs à long terme. Ainsi, les dirigeants des centrales hydro-électriques pourront mieux anticiper le risque de faible hydraulicité et gérer plus efficacement la ressource en eau de façon durable », ajoute le professeur Arseneault. Mentionnons que Manitoba Hydro et l’INRS sont également partenaires de ce projet qui doit se terminer à la fin de l’année.
Les travaux de recherche du Laboratoire d’écologie historique et de dendrochronologie apportent un éclairage pertinent pour mieux aménager les forêts et les territoires nordiques. Avec les changements climatiques que l’on observe, il s’avère important d’avoir un recul historique pour mieux comprendre leur portée. « Personne ne remet en question le fait que le climat se réchauffe depuis le début du 20e siècle. La question est de savoir si c’est une période exceptionnellement chaude, et si cela va continuer à se réchauffer. Pour y répondre, il faut remonter plus loin en arrière, idéalement de 1000 ou de 2000 ans, pour avoir des tendances à long terme. Le problème, c’est que les données instrumentales ne couvrent que 100 ans. Or, les cernes des arbres nous permettent de remonter aussi loin dans le temps », conclut le professeur Arseneault.
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