Candidat au doctorat en biologie, Frédéric Lesmerises constate que l’aménagement du territoire et la présence humaine conduiraient au déclin du caribou au Parc national de la Gaspésie, où il ne resterait qu’une centaine d’individus à ce jour. Sa thèse jette un nouvel éclairage sur les défis de la cohabitation entre humains et grande faune.
Le projet de recherche de M. Lesmerises vise à comprendre comment les modifications du paysage influencent le déclin du caribou. « L’objectif est d’évaluer l’impact de l’évolution naturelle de l’habitat du caribou et de son aménagement sur les comportements – et sur le déclin – des caribous. Je cherche notamment à déterminer si les randonneurs et les skieurs vont être bénéfiques, en éloignant les prédateurs, ou plutôt néfastes, en dérangeant les caribous au point de modifier leur utilisation de l’espace », explique le chercheur.
Cette recherche s’inscrit dans les travaux de l’équipe de recherche en gestion de la faune terrestre du professeur en écologie animale Martin-Hugues St-Laurent, où la condition physique, l’habitat, le régime alimentaire et la population des caribous sont étudiés. Le professeur spécialiste du caribou montagnard Chris Johnson (University of Northern British Columbia) codirige la thèse de M. Lesmerises.
Dans le cadre de ce projet, une quarantaine de caribous adultes de trois sous-populations du parc (secteurs des monts McGerrigle-Vallières, Albert et Logan), sont équipés de colliers GPS programmés pour que l’on puisse suivre leurs déplacements. Ces données télémétriques ont été couplées aux observations comportementales (alimentation, déplacement, vigilance, etc.), aux inventaires de végétation et aux indices de fréquentation du parc par les prédateurs et les touristes, réalisées durant les deux premiers étés de la recherche.
Les premiers résultats révèlent que la présence de skieurs et de randonneurs s’ajoute aux perturbations déjà trop nombreuses à l’extérieur du parc. « Les usagers du parc ont tendance à faire augmenter la vigilance des bêtes : elles sont en état d’alerte, cessent de s’alimenter, analysent la source de perturbation et ultimement, s’éloignent des sentiers. Pour s’éloigner de la présence humaine, ils descendent en altitude, où le risque de prédation est plus élevé. Cela diminue ainsi temporairement la superficie de la zone habitable pour le caribou. La présence de sentiers contribue aussi à guider les prédateurs vers les sommets à la nuit tombée et ainsi exacerber le risque de prédation », observe M. Lesmerises.
Bien que cette perte d’habitat et ce stress paraissent négligeables, ils pourraient désavantager le caribou, surtout en période hivernale, lorsque les conditions sont déjà très difficiles. « En hiver, les corridors de ski et de randonnée sont situés sur les sommets et les versants des montagnes, où les caribous vivent généralement. Malheureusement, la cohabitation n’est pas toujours évidente pour les caribous, et ces derniers ont tendance à quitter les zones skiables en présence de skieurs. Leur réservoir d’énergie étant limité à ce moment de l’année, tout mouvement supplémentaire peut accroître le risque de mortalité », souligne-t-il.
Le chercheur remarque enfin que les femelles avec faons paraissent moins sensibles à la présence humaine. « Comme les femelles doivent produire du lait pour nourrir leurs jeunes, elles doivent s’alimenter beaucoup plus, et tolèrent davantage la présence des humains. D’ailleurs, d’autres études ont révélé que plusieurs cervidés présents dans différents parcs nationaux nord-américains mettent bas près des villages, car peu de prédateurs s’y aventurent. Toutefois, cette stratégie ne semble pas nécessairement payante en Gaspésie, puisque le nombre de jeunes qui survivent à leur première année reste très faible », ajoute le chercheur.
Alors, pourquoi les caribous ne quittent-ils pas le secteur pour un milieu où il y aurait moins de prédateurs ? « Autour du parc, le paysage a subi plusieurs perturbations en raison des coupes forestières et anciennes mines, qui favorisent des prédateurs comme l’ours et le coyote. Les caribous sont aussi, en quelque sorte, forcés de rester dans cette zone, car ils ont besoin de la forêt mature en hiver pour s’alimenter de lichen. L’endroit le plus sécuritaire pour eux reste toujours le Parc de la Gaspésie, même s’il est insuffisant, à lui seul, pour garantir leur survie », précise-t-il.
Le caribou du Parc national de la Gaspésie, dernière population au sud du Saint-Laurent, fait partie des espèces menacées ou vulnérables du Québec. Cependant, il constitue aussi un moteur d’attraction socioéconomique important dans cette région, en plus de sa valeur culturelle et sociale pour le parc. Comme en témoignent les résultats du travail de Frédéric Lesmerises, il ne faut pas simplement s’intéresser aux prédateurs du caribou si l’on désire le conserver. L’étude de son comportement et de l’impact des activités humaines se révèle être une des pistes incontournables.
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