Le réchauffement climatique a de nombreuses répercussions sur l’Arctique canadien. Qu’il s’agisse des bouleversements de la biodiversité, de l’augmentation du trafic maritime, de la fonte des glaciers ou encore de l’exploitation des ressources naturelles, les écosystèmes nordiques sont scrutés par plusieurs équipes de recherche de l’Université du Québec à Rimouski et de son Institut des sciences de la mer. Panorama des enjeux touchant cette région qui suscite un intérêt grandissant de plusieurs pays.
La température moyenne sur Terre augmente sans cesse depuis des décennies. L’année 2024 a d’ailleurs été la plus chaude enregistrée, avec un réchauffement moyen de plus de 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. « Cette tendance-là s’accentue d’année en année. On va sans arrêt battre des records », prévoit le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biodiversité nordique, le professeur Dominique Berteaux.
L’Arctique est particulièrement touché par ce réchauffement accéléré. « L’Arctique est un monde qui est gelé. L’eau est sous forme de glace la majeure partie de l’année. Mais que ce soit la banquise, les glaciers, le pergélisol ou la neige, l’eau est de moins en moins solide et de plus en plus liquide. L’Arctique est en train de dégeler », résume le professeur Berteaux.
Représentant plus du tiers de la superficie du Canada, l’Arctique canadien a une superficie de plus de 2,6 millions de kilomètres carrés entre le Yukon et Terre-Neuve-et-Labrador. Plus de 52 000 personnes habitent ce vaste territoire qui s’étend de la limite des arbres jusqu’au pôle Nord. L’organisme Conservation de la nature Canada a dénombré que la région compte plus de 165 espèces d’oiseaux et plus de 65 espèces de mammifères, comme des ours polaires, des bœufs musqués, des caribous et des mammifères marins, dont des baleines et des phoques.
L’une des particularités de l’Arctique est son interconnexion avec le reste de la planète, indique le professeur en biologie Joël Bêty. « Une grande partie de la faune de l’Arctique se déplace et migre pendant une partie de l’année. Ce sont quelques centaines de millions d’oiseaux qui quittent l’Arctique pour passer l’hiver au sud, incluant l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud. Donc, ces grands migrateurs connectent l’Arctique avec le reste du monde. »
La biodiversité de l’Arctique est en pleine mutation, non seulement à cause du réchauffement, mais aussi en réponse à des perturbations qui surviennent un peu partout dans le monde. L’arrivée de nouvelles espèces et les changements dans la taille des populations peuvent entraîner des conséquences importantes pour les humains. « La grippe aviaire est propagée par les oiseaux migrateurs. L’été, on retrouve en Arctique plusieurs populations d’oiseaux qui se transmettent des pathogènes. Ainsi, ce qui se passe dans l’Arctique a des répercussions sur la propagation de maladies à l’échelle internationale. Pour comprendre et anticiper les conséquences sur les humains, on a besoin de connaissances sur la biodiversité arctique et sur sa réponse aux changements globaux », remarque le professeur Bêty.

Fonte des glaciers
Les glaciers à terminaison marine sont un emblème de l’archipel arctique canadien. Depuis une dizaine d’années, le professeur en géologie marine Jean-Carlos Montero-Serranoétudie leur dynamique sédimentaire grâce à des carottes de sédiments recueillies lors de missions à bord du brise-glace NGCC Amundsen. « Ce qu’on remarque, c’est que depuis les années 1950, soit la période industrielle, la fonte a commencé à s’accélérer à cause d’activités anthropiques. C’est généralisé dans le cas de la plupart des glaciers de l’archipel, mais dans certains cas, il y a des causes naturelles. Certains glaciers vont connaître une accélération de leur fonte pendant une période donnée, puis une décélération en raison de leur dynamique glaciologique interne. »
Comme l’archipel arctique canadien compte plus de 300 glaciers à terminaison marine, leur fonte contribue à la hausse du niveau des océans, ajoute le professeur Montero-Serrano. « Cependant, on ne connaît pas encore très bien leur dynamique à long terme et ainsi leur réelle contribution à la montée de l’eau. En étudiant les taux de sédimentation, on peut déduire indirectement à quelle vitesse fondent les glaciers et fournir aux modèles numériques des données précieuses permettant d’améliorer les projections globales à long terme. » Autre conséquence importante, la fonte des glaciers libère dans l’environnement marin des éléments en traces potentiellement toxiques, comme du plomb, du cadmium et du mercure, après avoir été emprisonnés dans des glaciers pendant des milliers d’années.
La fonte de la glace ouvre la voie à une augmentation du transport maritime. Selon le Conseil de l’Arctique, le trafic maritime a augmenté de 44 % entre 2013 et 2019 dans l’Arctique canadien. Ainsi, le nombre de navires empruntant le passage du Nord-Ouest est passé de 112 à 160 en six ans et la distance totale parcourue chaque année a doublé de 3 à 6 millions de milles nautiques.
Cette augmentation place l’Arctique dans un contexte particulier, avance le professeur Pierre Cauchy, qui se spécialise en acoustique marine. « Dans le reste du monde, le trafic maritime s’est accru progressivement au fil des progrès industriels et de la globalisation des échanges. Il n’y a pas longtemps, il n’y avait pas de transport maritime en Arctique en raison de la glace. Mais bientôt, il va y avoir un important trafic maritime et les écosystèmes arctiques auront très peu de temps pour s’adapter à cette situation alors qu’ailleurs, ils ont eu des siècles. »

Chacune des espèces marines qu’on retrouve dans l’Arctique sera potentiellement touchée par l’augmentation du bruit généré par le transport maritime, estime le professeur Cauchy. « Concrètement, le transport maritime crée un bruit de fond. Ainsi, les animaux vont communiquer sur de plus courtes distances, dormir moins bien et être plus stressés. Ils vont aussi perdre des zones d’habitats pour s’éloigner du bruit, ce qui peut signifier de se déplacer dans des zones où il y a plus de prédateurs et moins de sources d’alimentation pour eux. »
Sur la terre, le réchauffement climatique entraîne des répercussions importantes sur le pergélisol, cette couche de sol qui est de moins en moins gelée. « Le pergélisol stocke d’énormes quantités de carbone organique. Les trois mètres supérieurs du pergélisol terrestre mondial stockent à eux seuls le double de la quantité de carbone contenue dans l’atmosphère », illustre la professeure en géochimie marine Stephanie Kusch.
Par le passé, ce carbone organique était gelé et ne produisait pas de gaz à effet de serre par la décomposition microbienne. Toutefois, le réchauffement climatique accélère le dégel du pergélisol. « L’augmentation de l’activité microbienne et de la production de gaz à effet de serre qui en résulte accroît à son tour la température atmosphérique et accentue le dégel du pergélisol. Outre la production de gaz à effet de serre, les autres conséquences sont des glissements de terrain, l’érosion côtière et l’acidification des eaux côtières si le pergélisol est transporté dans l’océan », note la professeure Kusch.
Collaborer avec les communautés
Les différentes communautés autochtones qui habitent en Arctique sont aux premières loges des effets des changements climatiques. Représentant plus de 70 % du littoral du pays, l’Inuit Nunangat doit composer avec les variabilités du niveau de la mer, la dégradation du pergélisol, les mouvements de terrain, les inondations et l’érosion côtière. « Les côtes de l’Arctique canadien sont des lieux essentiels pour le quotidien des Nunavummiut. Ces régions subissent d’importants changements, tels que la réduction de la glace de mer et l’augmentation des impacts des tempêtes qui affectent l’équilibre des plages, ce qui perturbe les moyens de subsistance des communautés locales, comme la pêche et la chasse », explique le professeur en géographie David Didier.

Depuis quelques années, le professeur Didier et son équipe codirigent des projets de recherche en partenariat avec des organisations locales dans les communautés du Nunavut pour analyser les trajectoires des littoraux et proposer des mesures d’adaptation aux risques côtiers. « Nos travaux en Inuit Nunangat permettent d’avoir une meilleure compréhension de l’évolution de la côte, de travailler ensemble dans la réflexion des projets et de mettre en place des outils qui répondent aux besoins locaux. C’est une recherche qui se fait de concert avec les communautés locales et qui vise à déterminer les solutions d’adaptation qui leur conviennent le mieux. Pour certaines communautés, cela signifie d’évaluer la localisation des habitations, de protéger des lieux de culte ou encore de modifier l’utilisation de l’espace pour adapter les activités traditionnelles. On développe ensemble des mesures qui permettent d’éviter une exposition directe lors des tempêtes, comme des systèmes d’alerte pour les niveaux d’eau côtiers et les vagues. »
Le leadership et la participation des communautés autochtones sont essentiels aux projets de recherche menés en Arctique, poursuit le professeur Didier. « Les Nunavummiut ont une vision du territoire dont nous devons nous inspirer comme chercheuses et chercheurs. Créer des stratégies de recherche communes et des espaces de partage sur le terrain pour mettre de l’avant les savoirs traditionnels et les savoirs scientifiques permet d’avoir une meilleure compréhension des conséquences des changements climatiques sur le littoral arctique. »
Des ressources convoitées
Plus accessible que par le passé, l’Arctique regorge de ressources qui suscitent la convoitise de plusieurs pays. La région contient de grandes quantités de minéraux, comme du phosphate, du nickel, du fer, de la bauxite et du diamant, de même que du pétrole et du gaz naturel. « Autant au Canada qu’à l’échelle internationale, l’Arctique est de plus en plus au centre des discussions », observe le professeur Dominique Berteaux. « Il y a de plus en plus de personnes sur la planète et comme le développement s’amplifie, cela crée un besoin croissant pour des matières premières et de l’énergie. Tous les pays sont en train de regarder où on peut trouver ces ressources à extraire. »
Le développement qui s’opère en Arctique pose un important dilemme aux populations autochtones, constate le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biodiversité nordique. « Le développement économique amène du travail, mais il perturbe leur environnement et leur mode de vie. Dans tous les villages et même dans les familles, on se demande “est-ce qu’on prend ce qu’il y a de bon avec, par exemple, l’arrivée d’une mine ou l’agrandissement d’un port, en acceptant de subir ce qui est mauvais?” Et ça, on l’entend partout. »
Souveraineté de l’Arctique
L’Arctique canadien couvre la majeure partie du Nunavut et une partie des Territoires du Nord-Ouest. On y retrouve plus de 36 500 îles. Le Canada revendique sa souveraineté sur tous les passages maritimes du Nord-Ouest, mais divers pays comme les États-Unis, la Chine, la Norvège et le Danemark les considèrent comme des eaux internationales.
La recherche scientifique menée par des équipes canadiennes est perçue comme un moyen d’y affirmer sa présence. Depuis 2018, l’Université du Québec à Rimouski opère l’un des laboratoires les plus nordiques au monde grâce à un partenariat avec la Défense nationale. Dédié à l’étude de la faune, le laboratoire est installé sur la station militaire d’Alert, qui est située à l’extrême nord de l’île d’Ellesmere, au Nunavut.
« La station de recherche est de plus en plus occupée. La Défense nationale voit l’intérêt à ce qu’il y ait des équipes de recherche sur place, dont les publications font rayonner l’Arctique canadien. La recherche scientifique est un des moyens d’affirmer la souveraineté du Canada », souligne le professeur Berteaux.
En partenariat avec Ausuittuq Adventures et la communauté de Grise Fiord, l’UQAR a mis en place un observatoire du littoral et une station de recherche gérés par le Laboratoire d’étude des littoraux nordiques et arctiques (LNAR) et des partenaires locaux. « C’est la station de recherche communautaire la plus au nord du Canada. La souveraineté du Canada passe aussi par l’autodétermination des Inuit en recherche », soutient le professeur Didier.

Afin d’accroître sa présence dans l’Arctique canadien, l’Institut des sciences de la mer de l’UQAR souhaite remplacer le Coriolis II par un navire adapté à la navigation dans les glaces. « Lorsque nous disposons de navires capables de naviguer dans l’Arctique, nous pouvons prendre le leadership de grands projets internationaux et travailler avec les nations et les meilleurs scientifiques du Québec, du Canada et du monde entier pour cartographier les fonds marins, évaluer les stocks halieutiques, tester de nouvelles technologies, trouver des solutions face aux changements climatiques et contribuer à affirmer notre souveraineté en y augmentant considérablement notre présence », illustre le directeur de l’ISMER-UQAR, Guillaume St-Onge.
Le nouveau navire serait complémentaire aux brise-glaces canadiens, comme le NGCC Amundsen, précise M. St-Onge. « L’accès aux océans, et plus particulièrement à l’Arctique, ouvre la voie à une collaboration scientifique internationale puisqu’elle permet d’étudier des enjeux d’importance mondiale, tout en jouant un rôle diplomatique. Au-delà de l’étude des écosystèmes, du changement climatique et des risques naturels, l’océanographie peut jouer un rôle clé en diplomatie scientifique. »
Viser le long terme
La compréhension des changements globaux passe par des études qui se déroulent sur des décennies, martèle le professeur en biologie Joël Bêty. Le financement de la recherche est crucial à cet égard. « Pour comprendre ce qui relève de la variabilité naturelle des systèmes ou des changements à long terme, nous avons besoin de données à long terme. C’est un véritable enjeu de maintenir des suivis écologiques pour comprendre les causes des changements. »
L’UQAR et son Institut des sciences de la mer comptent plus d’une vingtaine de chercheuses et chercheurs qui s’intéressent aux différents enjeux qui touchent l’Arctique. Leurs travaux permettent à plusieurs étudiantes et étudiants de réaliser des projets de recherche uniques, sur le terrain ou en mer, dans l’Arctique au cours de leur maîtrise et de leur doctorat en biologie, en géographie et en océanographie, entre autres.
Plusieurs professeures et professeurs de l’Université sont membres de réseaux de recherche comme ArcticNet et le Centre d’études nordiques. D’’autres jouent des rôles clés à la direction scientifique de programmes de recherche pancanadiens comme le Réseau d’observation, de prévision et d’intervention en milieu marin (MEOPAR) et le programme Transformer l’action pour le climat du Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada. « La collaboration scientifique est essentielle pour avoir une meilleure connaissance des changements qui touchent les environnements nordiques. Dans un contexte où le réchauffement climatique et le développement économique de l’Arctique s’accélèrent, il est crucial de travailler en concertation pour proposer les meilleures stratégies d’adaptation », conclut le professeur Bêty.
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