


Axe 1 - Ressources, mobilisations et systèmes productifs
Traditionnellement, les théories de la science régionale et du développement régional ont abordé le territoire dans ses dimensions matérielles et objectives, tel un gisement de ressources «naturelles» à exploiter. Plus récemment, des recherches inspirées notamment de la géographie et de la sociologie incitent à repenser plus largement la question du territoire comme un facteur clé pour différencier les économies des régions et les rendre concurrentielles. Entre autres, les nouvelles théories sur les districts industriels, les milieux innovateurs, les systèmes productifs locaux et les systèmes régionaux d’innovation postulent désormais que le territoire, comme construit sociopolitique, résulte d’un travail de «co-construction» fait entre les acteurs qui s’appuie sur des proximités géographiques, organisationnelles et institutionnelles (Camagni et al., 2004; Pecqueur et Zimmerman, 2004). La mobilisation des acteurs sociaux, leurs relations et leurs capacités à s’entendre sur des visions communes, à l’égard des ressources naturelles et culturelles notamment, seraient des éléments déterminants dans ce travail de construction du territoire, comme le soutiennent nombre de chercheurs du GREMI, du GRIDEQ, du GRIR, du CRAD et du CRISES, associés au paradigme territorial du développement (Lafontaine et Jean, 2005; Pecqueur et Peyrache-Gadeau, 2010). Par l’observation fine des dynamiques d’acteurs autour des activités productives, la perspective de l’économie territoriale devient plus présente dans la deuxième programmation de la Chaire. Les industries associées aux ressources naturelles seront un des champs d’application concrète pour cet axe de recherche. L’économie canadienne apparaît comme un laboratoire exceptionnel de ce point de vue, l’exploitation des ressources naturelles contribuant toujours de façon significative à son PIB. Ces activités étant généralement situées dans les régions non métropolitaines, voire périphériques, l’UQAR offre un accès privilégié à ce laboratoire. Les travaux porteront sur deux secteurs d’activité en expansion. D’une part, dans le domaine énergétique, l’industrie éolienne, en forte croissance partout dans le monde, retiendra d’abord notre attention, tant au Québec qu’en Europe. La transformation agroalimentaire constituera un deuxième champ d’investigation, dans la poursuite de premiers travaux montrant comment le territoire est un facteur de localisation et d’ancrage, à titre de ressource construite par les entrepreneurs, tant pour différencier leurs produits que pour leur qualité de vie (Fortin et Handfield, à paraître).
Trois principaux objectifs sont visés :
- Étudier les stratégies et dynamiques d’acteurs, publics et privés, associées à l’exploitation et à la mise en valeur de ressources, dans les régions considérées périphériques;
- Expliquer les processus de construction des ressources matérielles et symboliques, en insistant sur celles liées au territoire, comme facteur de différenciation des économies régionales ;
- Proposer des réflexions critiques et constructives concernant les politiques publiques et les stratégies de mise en valeur des ressources, dans une perspective de développement territorial.
Axe 2 - Grands projets, gouvernance territoriale et acceptabilité sociale
Le deuxième axe de la programmation de recherche s’inscrit dans la continuité du précédent, en ciblant cette fois le problème de l’articulation entre développement économique et aménagement des territoires qui constitue, depuis des décennies, un défi soutenu de la gouvernance territoriale (Guay et al., 2004; Simard et al., 2006). Les nombreux conflits sociaux éclatant lors de l’implantation d’infrastructures et d’équipements industriels sont particulièrement révélateurs des difficultés rencontrées pour concilier les intérêts et représentations divergents des acteurs dans ce qui serait un « ‘intérêt général’ territorialisé » (Lascoumes et Le Bourhis, 1998 : 39), tout comme les tensions entre les échelles de planification (du local au mondial) et les temporalités (court à long terme). Même les régions périphériques fragilisées n’échappent pas à ce phénomène. Malgré un contexte difficile, les projets d’usines, de centrales hydroélectriques, de parcs éoliens, de mines ou de gaz de schiste, pourtant présentés comme vecteurs de l’économie et de développement, soulèvent des critiques. La réalisation de tels projets est même parfois compromise lorsque les décideurs ne tiennent pas compte des revendications exprimées par des citoyens et groupes sociaux, que ce soit en termes d’environnement, de paysage ou de qualité de vie. Le problème est de plus en plus défini comme celui de l’acceptabilité sociale des grands projets. Les décideurs privés et publics la considèrent comme une «condition» essentielle à la réussite de projet, comme observé au BAPE depuis les années 1990 (Gauthier et Simard, 2011). Les scientifiques ont aussi intégré cette notion dans leurs travaux, notamment ceux sur les conflits entourant les parcs éoliens, mais en la définissant très peu. Comme pour d’autres notions (ex. : développement durable), il y a un besoin pressant pour préciser théoriquement et conceptuellement cette notion et comprendre le phénomène qu’elle recouvre.
Les recherches conduites dans le deuxième axe de la programmation de la Chaire en développement régional et territorial s’intéressent à ce phénomène touchant les relations entre les entreprises et les communautés locales. Notre hypothèse est que ces relations sont en recomposition, liées au contexte actuel de la société réflexive : tout en misant sur l’économie, ces relations s’établissent dorénavant sur des bases plus larges qui renvoient à des demandes sociales relatives entre autres à la qualité de l’environnement, aux paysages et au patrimoine et à leur prise en compte dans les processus de planification et de gouvernance. La confiance à l’égard des institutions, notamment leurs capacités à prendre en compte ces préoccupations, ainsi que leurs capacités à nouer des compromis reconnus comme légitimes y apparaissent comme deux facteurs clés (Breukers et Wolsink, 2007; Le Galès, 1998; McLaren Loring, 2010). Dans une proposition récente (Fortin et Fournis, 2011), nous avons inscrit ces dimensions au centre d’une grille d’analyse liant trois niveaux (micro / méso / macro). Les travaux s’intéresseront à une ressource émergente des territoires et associée au développement et au bien-être des populations, celle du paysage, et qui devient un enjeu, comme observé dans nos travaux précédents. Outre les parcs éoliens autour desquels une expertise a été développée, les dynamiques sociales autour d’autres filières énergétiques seront examinées par le biais d’études de cas, y compris celle très contestée des gaz de schiste. Des études comparatives seront aussi menées dans diverses régions du Canada (Québec, Nouveau-Brunswick) et de pays industrialisés étrangers (France). L’observation portera sur les rapports établis entre trois groupes d’acteurs, soit les dirigeants d’entreprises, les planificateurs et décideurs ainsi que la société civile. Ce dernier type d’acteurs a jusqu’ici été moins étudié. Il est pourtant considéré comme incontournable dans les nouvelles pratiques de gouvernance, autant sur le plan théorique qu’empirique, comme le démontrent les nombreux projets retardés ou même abandonnés à cause de l’opposition de groupes de la société civile.
Trois principaux objectifs sont visés dans ce deuxième axe de la programmation de recherche, soit :
- Éclairer les fondements des demandes sociales exprimées sur les thèmes de l’environnement, du paysage et du patrimoine à l’endroit de projets de développement;
- Étudier les dynamiques sociales et les négociations entourant l’implantation de projets d’aménagement et de développement associés à l’exploitation et à la mise en valeur de ressources naturelles, dans les régions considérées «périphériques»;
- Expliquer les processus de construction de l’acceptabilité sociale de tels projets.
Axe 3 - Évaluation des impacts et qualité territoriale
En lien avec les préoccupations sociales pour l’environnement et la montée du discours sur le développement durable, les inégalités sociales et environnementales marquant certains territoires et populations font de plus en plus l’objet de questionnements importants sur le développement. Aux États-Unis, ce questionnement a été poussé par le mouvement social de la justice environnementale qui protestait, au nom de l’équité et de la justice sociale, contre les impacts négatifs causés par la présence d’activités industrielles sur la qualité de l’environnement, sur la sécurité et sur la santé des communautés d’accueil. Diverses enquêtes gouvernementales et universitaires (Bullard 1994; Gould et Schnaiberg, 1996) ont ensuite établi que des populations vulnérables (ethniques, rurales, économiquement défavorisées) assument une plus grande proportion d’impacts environnementaux que d’autres. Ces travaux ont aussi montré que la vitalité socioéconomique, la qualité environnementale et le pouvoir politique des communautés locales constituent trois dimensions indissociables des dynamiques territoriales de développement et de la «santé» des collectivités. Certains auteurs influents parlent même de la «société du risque» : à côté de l’enjeu de la distribution des biens, émergerait désormais celui de la distribution des risques (Beck, 2001). C’est pourquoi l’étude de la distribution socio-spatiale des grands projets et de leurs impacts (économiques, sociaux, environnementaux) est d’une grande pertinence sociale et, plus encore, la compréhension des facteurs créant des situations d’iniquité.
À la suite de ces travaux internationaux, une des questions est de savoir si des phénomènes d’iniquité similaires sont observés au Canada et si oui, comment ils se manifestent. La Chaire en développement régional et territorial reprend ce questionnement dans le troisième axe de sa programmation scientifique. Les recherches s’intéresseront aux territoires qui accueillent des activités ayant de forts impacts sociaux et environnementaux (ex. : émissions atmosphériques, santé, risques d’accident) et à leur dynamique de développement. Alors qu’il était envisagé de concentrer les efforts uniquement sur les activités à haut risque (sites et usines de traitement de déchets contaminés, centrales nucléaires), la programmation de recherche proposée portera la loupe sur une variété de grands projets – incluant ceux en apparence vertueux comme les parcs éoliens – en prenant pour acquis que ceux-ci ont également des impacts considérables sur les territoires, autant économiques, que sociaux et environnementaux : ils s’insèrent dans les trajectoires historiques de développement, au risque de renforcer ou créer un «sentier de la dépendance» (path dependency). L’ambition est donc de lier trois temporalités dans l’analyse (conditions structurelles héritées du passé, décisions actuelles et évolution future des territoires) sous des questionnements comme : quels effets sur la qualité des territoires? Quels effets sur les communautés locales, leur composition, leur cohésion et leurs capacités de développement?
Quatre grands objectifs orientent les travaux sur ce troisième axe de recherche :
- Étudier et évaluer les impacts sociaux et environnementaux créés dans les territoires habités par la présence de grands équipements et activités ;
- Relever les facteurs qui créent des situations d’inégalités sociales et environnementales;
- Définir des indicateurs, quantitatifs et qualitatifs, qui soient adaptés aux réalités des régions fragiles des pays industrialisés, surtout périphériques ou non métropolitaines, et qui permettent de caractériser et d’évaluer la qualité des territoires;
- Préciser les relations, empiriques et théoriques, entre la qualité des territoires habités, la «santé» des collectivités locales et leurs capacités de développement.